Octobre 2008: Lire en Fête en Guadeloupe
Les Femmes de Lettres Néerlandophones aux Caraïbes
La région des Caraïbes néerlandophone compte à peine un million d'habitants. Le Surinam, Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, St. Eustache, St. Martin; dans ces pays la langue officielle est le Néerlandais. La plupart des oeuvres littéraires écrites en Néerlandais publiées dans ces régions, sont des romans. Dans les îles beaucoup de poèmes sont écrits et édités en Espagnol, Anglais ou Papiamentu, une des langue créoles de la région, entourée de beaucoup d'affection. Des Antillais d'origine sociale très diverses aiment à parler et écrire leur langue maternelle. Sonia Garmers, originaire de Curaçao, et Diana Lebacs de Bonnaire, ont publié leurs premiers romans en Néerlandais. Les deux auteurs s'adressent aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Et leurs récits contiennent un message. Un des livres de Sonia Garmers s'intitule <Chère Reine, je vous envoie ma fille>. Le titre est suggestif. Les Pays-Bas ont une maison royale; la dynastie d'Orange. Quand Mme. Garmers se sépare de sa fille, qui va poursuivre ses études en métropole, elle se rend compte que celle-ci aura besoin d'une figure maternelle. Voilà l'idée malicieuse et pleine d'esprit à la base de ce livre. Mme. Garmers est une vraie conteuse avec un grand sens de l'humour. Diana Lebacs, qui a aussi déjà plusieurs livres à son nom, est une des femmes de lettres de la première heure. Ces dernières années le monde littéraire a vu l'apparition de plusieurs auteurs nouveaux; Myra Römer, Gisèle Ecury et Joan Leslie, qui vient d,Aruba et dont les parents étaient originaires de la Barbade. Il faut peut-être rappeler ici qu'au 20-ième siècle il y avait beaucoup d'immigrants des îles anglo- ou hispanophones qui se sont installés dans les îles prospères de Curaçao et Aruba où les raffineries de pétrole attiraient beaucoup de monde. Jusqu'ici ce thème a rarement été traité dans la littérature de la région. Les femmes de lettres racontent l'esclavage, le génocide, le colonialisme, ou des contes d'Anansie à côté de sujets plus généraux comme l'amour, la mort ou la naissance. Dans son recueil de nouvelles <Ceux qui ont des bonnes intentions>, Ellen Ombre du Surinam s'en prend à l'aide aux pays sous-développés: «Actuellement il y a en Afrique plus de blancs au travail qu'à l'époque coloniale. La plupart sont coopérants techniques; c'est de l'assistance sociale au niveau mondial. Ces assistants au Tiers-Monde sont tous des propagateurs de leur foi; la foi chrétienne, la confession féministe ou l'écologie. Loin de leur foyer, ils se mettent au service de l'autre, mais qu'en est-il de leur intérêt? Les exigences de formation sont moindres et les salaires plus élevés qu'au pays d,origine. Celui ou celle qui participe pendant dix ans à cette folie des tropiques est assuré d'une carrière comme consultant ou expert avec un salaire de mille dollars ou plus par jour.»
Si le Surinam est indépendant depuis 1975, les Antilles ont encore un lien très étroit avec les Pays-bas, même si Aruba jouit d'un statut particulier. Dans les romans historiques de Cynthia McLeod le passé esclavagiste est omniprésent. Un de ses récits le plus remarquable narre les tribulations d'une femme noire très riche, appelée Elisabeth Samson, qui avait épousé un européen et possédait des esclaves. Le recueil de nouvelles <Ce que nous devons taire> sorti en 2007, réunit des histoires courtes, remarquables, écrites par des femmes de lettres originaires des Caraïbes, comme Karin Amatmoekrim, qui avait auparavant publié le roman <Quand Nous sommes ensembles> une histoire d'amour, qui se déroule dans la communauté javanaise du Surinam. Ici je me permets une parenthèse pour rappeler qu’en 1863 après l'abolition de l'esclavage au Surinam, les colonisateurs ont embarqués de gré ou de force des milliers de contractants à Java en Indonésie, qui était à l'époque encore les Indes Néerlandaises, pour les transporter au Surinam. La région néerlandophone ne parle évidemment pas d'une voix, ni ne traite d'un seul thème. La diversité est aussi importante que le nombre d'auteurs et il n'y a apparemment pas beaucoup de tabous, même les sujets considérés délicats, comme les relations entre les communautés hindoues et musulmanes sont abordés. Astrid Roemer et Annette de Vries traitent des préférences sexuelles de leurs personnages. Est-ce que ce thème, l'homosexualité, serait d’origine néerlandaise? Il faudrait faire de la recherche pour éclairer l'influence des différentes colonisations sur la littérature de la région. Il est tout aussi possible que les échanges de plus en plus importantes entre les îles des caraïbes, comptent davantage. Des auteurs comme Simone Schwartz-Bart, Jamaica Kincaid et Edwige Danticat sont traduits et lus avec avidité. Est-ce que les jeunes auteurs les considèrent comme modèles? Il y a encore beaucoup de travail à faire dans l'analyse de la narration caraïbe, mais il s'avère que la langue constitue une barrière importante aux différents groupes régionaux. La langue néerlandaise n'est pas très accessible aux franco-, anglo- ou hispanophones. Il est donc important de traduire énormément. Les femmes de lettres des régions néerlandophones restent confinées dans un petit coin et n'ont de ce fait pas accès aux lecteurs des autres régions. Les danseurs, musiciens et réalisateurs d’arts plastiques n'ont pas ce problème, leur métier traverse allègrement les frontières, alors que les pauvres artistes de la littérature ont les mots attachés comme un boulet aux pieds. C'est à nous professeurs, traducteurs, bibliothécaires, critiques,libraires et j'en oublie, de faire en sorte que les histoires se transmettent. Le néerlandais est ma première langue; c'est en m'appropriant le français que j'ai eu accès à des auteurs tels que Marie Chauvet, Yannick Lahens, Gisèle Pineau et beaucoup d'autres. C'est un vrai plaisir de découvrir les similitudes dans la littérature des différentes régions des caraïbes, ainsi que les différences; celles-ci s'expliquent en partie par la forme que prit la colonisation et par la composition de la population, comme par exemple la présence des javanais au Surinam que je mentionnais toute à l'heure, par la prospérité du pays et par le paysage. J'aimerais m'attarder un moment sur ce dernier aspect: au Surinam la forêt tropicale occupe la majeure partie du pays, et depuis le début de la colonisation les autochtones et les esclaves marrons s'y réfugiaient et s'y cachaient pour fuir la violence des propriétaires de plantations. Ces groupes ont jusqu'au jour d'aujourd'hui maintenu leur langue et leurs traditions qui constituent pour certains auteurs une trame historique. Comme dans la nouvelle <Peau Neuve> de Tessa Leuwsha:
« Après un long trajet en camion sur le <tapis rouge> qui est une route pavée de bauxite, le voyage continuait en korjaal, un bateau, jusqu'à Donnoekondre, un village au bord du fleuve Surinam. Il habitait dans une cabane de planches couverte d'un toit en feuilles de palmier. Le premier jour il allait se présenter au chef du village, le capitaine Lindo Donnoe. C’était un grand homme noir dont le ventre rond était recouvert d’un tissu noué sur une épaule et qui lui adressait la parole en une langue chantante. Jacob ne reconnut que le mot Omuje, indiquant les femmes du village. Dans sa main le chef tenait un parapluie ouvert, ce qui lui donnait une certaine allure, même si le tissu en était par endroit détaché. » Voilà un texte qui situe l'action nettement à l'intérieur des terres du Suriname, malgré quelques renvois à l'Afrique de l'ouest . Dans les livres pour la jeunesse on retrouve souvent Anansie, l,araignée venue de l'Afrique occidentale. L'antillaise Olga Orma a réalisé <Comment Anansi gagnait le prix du festival de tumba>, un livre joyeux, illustré de dessins amusants. Images et texte forment un bel ensemble, tout comme <Grenouillette et Serpenteau>, de Marijke Mil. Un autre auteur prolifique pour la jeunesse qu,il faut mentionner est Ismène Krishnadath du Surinam. Il sera clair que les femmes de lettres néerlandophones sont présentes dans tous les domaines de la littérature. Même si actuellement la majorité des publications sont des poèmes et surtout des nouvelles, il sort de plus en plus de romans et de pièces de théâtre. Il n'y a par contre peu ou pas de romans policiers ou thrillers, mais je pense qu"un roman historique est déjà presque un récit d"anticipation .
Je vous remercie de votre attention
Lucia Nankoe | |